Il n'y a jamais eu autrefois dans la caste
des samouraïs de quatrième, cinquième ou dixième
dan. C'est pourtant de leurs mains que nous tenons l'arc et le
sabre.
Depuis toujours, on ne peut parvenir à la pureté
d'un maître qu'en faisant table rase de tout ce qui encombre
l'esprit. Pour les maîtres, les bases mentales et morales
ont toujours été les piliers qui soutenaient leur
art. C'est pourquoi ni les grades, ni l'esprit de compétition
ne les ont motivé à aucun moment de leur vie.
De nos jours, un pratiquant de Kyudo ou de Budo, au bout de plusieurs
années de pratique, peut se présenter à
un examen. Si le Kyudojin obtient le premier dan (degré),
ceci va marquer son entrée véritable dans la discipline.
Ce premier dan ou Sho Dan n'a, en effet, dans la langue japonaise
que la signification de Hajimé (commencer).
C'est, ou plutôt c'était, la méthode ayant
cours suivant la Tradition Japonaise dans tous les arts du Budo,
il y a quarante ans de cela. Ce premier pas pouvait annoncer
petit à petit l'entrée vers la maîtrise.
En pratique, cette progression s'étale sur une vie entière
et personne ne peut savoir jusqu'à quel degré de
maîtrise il peut aller.
Dans les années 1935, au Japon, existait le titre honorifique
de Hanshi (maîtrise) ou Shihan (maître) délivré
aux plus anciens possédant la connaissance.
Au Japon, bien des maîtres, à la sortie de la dernière
guerre ne connaissaient pas de niveaux au-dessus de cinquième
dan, jugeant que cinq niveaux suffisaient pour jalonner une progression
technique correspondant au développement des sens de l'individu.
Au-delà, venait, en partie avec l'âge, la perfection
dans le domaine mental, difficile à juger et ne pouvant
encore moins être entérinée par une marque
extérieure de supériorité. Cette attitude
raisonnable vis-à-vis du grade condamnait toute vanité.
Dès
l'arrivée en Europe de certains Japonais, aux environs
des années 1950, ce principe a pu être respecté,
le cinquième dan était considéré
comme tout à fait exceptionnel encore en 1965 , quelquefois
donné à titre honorifique après une vie
consacrée à la discipline pratiquée.
La création et la fusion de fédérations
où les critères retenus pour l'attribution de grades
étaient fort différents, provoquèrent l'alignement
général sur les fédérations qui,
malheureusement, avaient délivré les grades avec
le plus de générosité. Comme pour des raisons
éminemment publicitaires, certaines d'entre elles avaient
déjà organisé des grades allant jusqu'au
huitième dan (Japon, Etats-Unis), il y eut un décalage
général vers le haut et, de ce fait, une dénaturation
du grade.
Il y a une trentaine d'années dans certaines disciplines
du Budo, il était impensable d'être cinquième
dan avant l'âge de 35 ans, ce qui aurait été
un record ! Il n'est pas rare, à présent, de trouver
des troisièmes dan à 22 ans, voire des sixièmes
dan à 30 ans et des Renshi à 45 ans !
Sans entrer dans la polémique, il devient nécessaire
d'informer. En dehors des fédérations nationales
avec délégation de pouvoir du ministère,
il y a aujourd'hui une réelle difficulté à
apprécier un grade quel qu'il soit.
Bien sûr, la finalité du Kyudo se trouve ailleurs,
vous diront certains Japonais.
Alors, Messieurs ! Pourquoi donner des grades au hasard, créant
l'anarchie qui devient à peu près complète
?
C'est que les Japonais, de leur côté, furent agréablement
surpris que les Européens, les Occidentaux s'intéressent
à leur discipline et, pour les remercier, ont commencé
à offrir généreusement à qui le demandait
des stages, un enseignement et des grades, même de hauts
niveaux auxquels l'Européen va s'accrocher comme à
un hochet.
La deuxième surprise des Japonais sera de voir que les
Occidentaux n'ont pas compris le message et se prennent pour
des Grands Maîtres.
Aux Etats-Unis notamment, on se désintéresse de
plus en plus des reconnaissances de grades.
Au-delà du premier dan, les champions dans les Shiaï
s'attribuent eux-mêmes des hauts grades ; un signe de modestie
évident !
La notion de grade est devenue floue.
Bien entendu,
tout ceci ne change évidemment rien dans la progression
de tout Kyudojin sincère. Le système des dan à
l'ancienne existe toujours avec sa sévérité,
son attachement à des valeurs sûres.
Un vieux maître de Kyudo disait : " Pour vraiment
entrer dans la discipline et la comprendre, l'engagement est
de trente ans ; là est le vrai commencement, le dan est
un fantôme ".
Au-delà de la surenchère actuelle des grades, espérons
qu'il y ait des gens conscients et sincères permettant
l'éveil du Budo Japonais en Occident.
J.NORMAND
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